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WIPO-UDRP Decision
DCH2019-0014

Case number
DCH2019-0014
Complainant
CA Indosuez (Switzerland) SA, Crédit Agricole Corporate and Investment Bank, Crédit Agricole SA
Respondent
Michel Baillifard
Panelist
Kraus, Daniel, La Spada, Anne-Virginie
Status
Closed
Decision
Transfer
Date of Decision
11.02.2020

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE L’EXPERT

CA Indosuez (Switzerland) SA, Crédit Agricole SA, Crédit Agricole Corporate and Investment Bank contre Michel Baillifard

Différend n°DCH2019-0014

1. Les parties

Les Requérantes sont CA Indosuez (Switzerland) SA, Suisse, Crédit Agricole SA, France, et Crédit Agricole Corporate and Investment Bank, France, représentés par id est avocats Sàrl, Suisse.

Le Partie adverse est Michel Baillifard, Suisse.

2. Les noms de domaine

Le différend concerne les noms de domaine <caindosuez.ch>, <credit-agricol.ch>, et <creditagricol.ch>.

3. Rappel de la procédure

Une demande a été déposée par CA Indosuez (Switzerland) SA, Crédit Agricole SA, et Crédit Agricole Corporate and Investment Bank auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 21 octobre 2019.

En date du 22 octobre 2019, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, registre du “.ch ” et du “.li. ”, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par les Requérantes. En date du 23 octobre 2019, SWITCH a confirmé que la Partie adverse est bien le détenteur des noms de domaine et a transmis ses coordonnées.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine .ch et .li (ci-après les “Dispositions”) adoptées par SWITCH le 1er mars 2004.

Conformément aux paragraphe 14 des Dispositions, le 4 novembre 2019, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la Partie adverse. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 24 novembre 2019.

En date du 24 décembre 2019, le Centre nommait dans le présent différend comme conciliateur Daniel Kraus. Le conciliateur a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.

Conformément au paragraphe 17 des Dispositions, l’audience de conciliation a eu lieu par téléphone le 8 janvier 2019.

La conciliation n’a abouti à aucune transaction entre les parties.

En date du 23 janvier 2020, le Centre nommait dans le présent différend comme experte Anne-Virginie La Spada. L’experte constate qu’elle a été désignée conformément aux Dispositions. L’experte a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.

La Partie adverse a soumis une communication par email au Centre le 28 janvier 2020.

4. Les faits

Crédit Agricole SA est l’une des plus grandes banques de France et a son siège en région parisienne. Elle forme avec ses sociétés affiliées et notamment avec Crédit Agricole Corporate and Investment Bank ainsi que CA Indosuez SA, le groupe Crédit Agricole. Le groupe Crédit Agricole déploie ses activités en Suisse depuis 1876.

Les Requérantes sont titulaires de plusieurs enregistrements en Suisse comprenant CRÉDIT AGRICOLE et/ou INDOSUEZ, et notamment:

- Marque Suisse CA CRÉDIT AGRICOLE (fig.) no. 2P-425521, en classes 35 et 36, du 16 février 1995;
- Marque internationale INDOSUEZ no. 448888, en classes 36 et 39, étendue à la Suisse le 23 février 1994.

Les Requérantes sont également titulaires de noms de domaine comprenant les termes “Crédit Agricole” et/ou “Indosuez”, et notamment <ca-indosuez.com>, enregistré le 4 juin 1997, et <credit-agricole.com> enregistré le 31 décembre 1999.

Les noms de domaine litigieux <caindosuez.ch>, <credit-agricol.ch>, et <creditagricol.ch> ont été enregistrés par la Partie adverse le 13 avril 2019. Il n’existe pas de site actif lié aux noms de domaine litigieux. Ces derniers renvoyaient toutefois à une page indiquant que les noms de domaine concernés étaient à vendre mais la page a été bloquée par le Registrar sur demande des Requérantes.

La Partie adverse a contacté la société suisse Requérante CA Indosuez le 13 septembre 2019, lui a confirmé être le titulaire du nom de domaine <caindosuez.ch> et l’avoir mis en vente notamment sur le site “www.lenom.ch”. La Partie adverse a également demandé à la Requérante de lui faire part de son offre d’achat en francs suisses.

Sur le site “www.lenom.ch”, la Partie adverse offre à la vente une série de noms de domaine tels que <axa-immo.com>, <immo21.ch>, ou <societe-generale.ch>. Pour certains noms de domaine, les acquéreurs potentiels sont priés de faire une offre en francs suisses. Pour d’autres, les prix sont indiqués. Par exemple, le nom de domaine <courtage-immobilier.ch> est offert au prix de CHF 2,800, et le nom de domaine <agent-immobilier.ch> au prix de CHF 4,800.

5. Argumentation des parties

A. Requérantes

Les Requérantes reprochent à la Partie adverse d’avoir enregistré des noms de domaine quasi identiques à leurs marques, noms de domaine et raisons sociales, entravant ainsi leur activité commerciale.

De plus, selon les Requérantes, la Partie adverse ne bénéficie d’aucun intérêt légitime à la détention des noms de domaine litigieux.

Les Requérantes font valoir par ailleurs que l’achat frauduleux de noms de domaine dans le seul but de les revendre à leur titulaire légitime et ce à un prix clairement supérieur au coût d’enregistrement des noms domaine est un indice supplémentaire d’une intention déloyale.

Les Requérantes demandent que les noms de domaine litigieux soient transférés à CA Indosuez (Switzerland) SA.

B. La Partie adverse

Dans une communication au Centre datée du 23 novembre 2019, la Partie adverse a indiqué qu’elle n’entendait pas déposer de réponse à la plainte des Requérantes mais a formulé une offre de vente pour les trois noms de domaine litigieux à hauteur de CHF 9,763.

Dans un email du 28 janvier 2020, elle indique que ces noms de domaine ont été acquis en avril 2019 exclusivement pour des activités prévues dans les classes 29 et 30.

6. Discussion et conclusions

Aux termes du paragraphe 24(a) des Dispositions, “l’expert statue sur la demande en se fondant sur les allégués des deux parties et les documents écrits déposés, dans le respect des présentes dispositions”.

Selon le paragraphe 24(c) des Dispositions, l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation d’un nom de domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein.

Selon les Dispositions, le droit attaché à un signe distinctif est un droit reconnu par l’ordre juridique qui découle de l’enregistrement ou de l’utilisation d’un signe et qui protège son titulaire contre les atteintes à ses intérêts générées par l’enregistrement ou l’utilisation par des tiers d’un signe identique ou similaire; il s’agit notamment, mais pas exclusivement, du droit relatif à un nom commercial, à un nom de personne, à une marque ou à une indication géographique, ainsi que des droits de défense résultant de la législation sur la concurrence déloyale.

Selon le paragraphe 24(d) des Dispositions, il y a clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque:

i. aussi bien l’existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résulte clairement du texte de la loi ou d’une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu’ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que

ii. la partie adverse n’a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que

iii. l’infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l’extinction du nom de domaine.

A. Observations préliminaires

La Partie adverse a remis en cause la neutralité du conciliateur et a expressément requis que l’expert soit neutre. L’experte réitère son indépendance et son impartialité et confirme qu’elle a signé une déclaration d’impartialité à cet effet.

B. Le requérant a-t-il un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse?

Les Requérantes détiennent notamment une marque suisse CA CRÉDIT AGRICOLE (fig.) no. 2P-425521 et une marque internationale INDOSUEZ no. 448888, étendue à la Suisse.

La société suisse CA Indosuez (Switzerland) SA jouit d’un droit à la raison de commerce.

Les raisons de commerce des deux sociétés françaises bénéficient en Suisse de la protection accordée aux noms commerciaux par l’Article 8 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle.

Les Requérantes sont également titulaires de noms de domaine comprenant les termes distinctifs “Crédit Agricole” et “Indosuez”, et notamment <ca-indosuez.com>, enregistré le 4 juin 1997, et <credit-agricole.com> enregistré le 31 décembre 1999. Bien que le droit suisse n’attache pas de droit de propriété intellectuelle sur un nom de domaine, la titularité et l’exploitation d’un nom de domaine antérieur sont des éléments pertinents du point de vue du droit de la concurrence déloyale.

C. L’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse?

Les Requérantes soulèvent que le comportement de la Partie adverse constitue un comportement déloyal au sens de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (“LCD”). Selon les Requérantes, en enregistrant des noms de domaine contenant leurs marques alors qu’il n’avait aucun intérêt légitime à le faire, le Défendeur a causé une entrave à l’activité commerciale des Requérantes, plus particulièrement sur le territoire suisse.

Aux termes de l’article 2 LCD, “est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients”.

Indépendamment de tout usage, l’enregistrement d’un nom de domaine reproduisant la marque d’un tiers peut constituer un acte de concurrence déloyale lorsqu’il cause objectivement une entrave à l’activité commerciale du titulaire de la marque et/ou lorsque l’intention de causer une telle entrave est manifeste (AdunoKaution AG, Aduno Finance AG contre SC, Swiss Caution SA, Litige OMPI No. DCH2015-0019, et l’arrêt cité du Tribunal de commerce de Zurich, ZR 101 (2002), 51, du 18 décembre 2001; voir aussi la décision rendue par l’expert dans le cas Cartier International S.A. contre Marc Baertschi, Litige OMPI No. DLI2015-0001 et également le cas AXA SA contre SwissCaution SA, Onkelinx Sophie / SC, SwissCaution SA, Yann Goyonvarc’h, Litige OMPI No. DCH2016-0002).

En l’espèce, les noms de domaine litigieux reprennent de façon quasi-identique les signes distinctifs des Requérantes (marques, raisons de commerce/noms commerciaux et noms de domaine).

En effet, le nom de domaine litigieux <caindosuez.ch>:

- reprend intégralement la marque internationale INDOSUEZ des Requérantes;
- reprend l’acronyme du Groupe Crédit Agricole, “CA”, contenu dans les marques suisses des Requérantes;
- est identique, sous réserve de suppression du tiret, au nom de domaine des Requérantes <ca-indosuez.com>; et
- reprend la majeure partie de la raison de commerce CA Indosuez (Switzerland) SA.
Les noms de domaine litigieux <credit-agricol.ch> et <creditagricol.ch>, quant à eux:

- reprennent les marques des Requérantes CA CREDIT AGRICOLE en omettant uniquement le “CA” et le “e” final;
- sont identiques, sous réserve de la suppression du “e” final, au nom des domaine des Requérantes <credit-agricole.com>; et
- reprennent la majeure partie du nom commercial de la Requérante Crédit Agricole SA.

La tentative de revendre un nom de domaine reproduisant un signe distinctif au titulaire légitime de ce signe à un prix supérieur au coût d’enregistrement indique une intention déloyale (voir Cartier International SA contre Marc Baertschi, Litige OMPI No. DLI2015-0001).

En l’espèce, la Partie adverse a enregistré de nombreux noms de domaine se rapportant à des signes distinctifs ou entreprises de tiers dans le but de les revendre par l’intermédiaire de son site Internet “www.lenom.ch”. Les tarifs de revente accessibles sur ce site excèdent manifestement les coûts de l’enregistrement d’un nom de domaine.

Cette intention déloyale est de plus établie par l’attitude de la Partie adverse qui a pris l’initiative de contacter les Requérantes afin de leur revendre les noms de domaine litigieux et confirmée par le montant de l’offre de vente formulée dans sa réponse à la plainte, à savoir CHF 9,763 pour les trois noms de domaine litigieux.

Il apparaît donc bien que la Partie adverse a enregistré les trois noms de domaine litigieux avec l’intention d’entraver les activités commerciales des Requérantes. Ceci constitue un acte de concurrence déloyale au sens de l’article 2 LCD.

Par conséquent, l’experte conclut que le comportement de la Partie adverse tombe sous le coup l’article 2 LCD et constitue une claire infraction au droit suisse. Le Défendeur n’a pas exposé et prouvé de raisons de défense importantes de manière concluante, au sens du paragraphe 24(d)(ii) des Dispositions, dans sa réponse à la plainte.

7. Décision

Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l’experte ordonne le transfert des noms de domaine <caindosuez.ch>, <credit-agricol.ch>, et <creditagricol.ch> au profit de CA Indosuez (Switzerland) SA.

Anne-Virginie La Spada
Experte
Le 11 février 2020